Le 18 janvier, le Bureau de la concurrence a annoncé la tenue d’un processus de consultation et a publié le projet de lignes directrices sur l’application de la loi qu’elle avait promis d’élaborer sur l’interdiction d’ordre criminel à venir visant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage déposée dans le cadre des modifications apportées à la Loi sur la concurrence (Loi) en juin 2022. 

La date limite pour déposer des commentaires sur le projet de lignes directrices en ligne ou directement auprès de la Direction des cartels du Bureau est le 3 mars 2023. 


Contexte

En juin 2022, le gouvernement du Canada a déposé certaines modifications à la Loi, y compris une nouvelle disposition qui criminalisera les accords conclus entre entreprises non affiliées et visant à fixer les salaires des employés ou à restreindre la mobilité des employés. 

L’objectif de la nouvelle loi consiste à faire correspondre davantage l’approche canadienne en matière d’accords de fixation des salaires et de non-débauchage à celle d’autres territoires, comme les États-Unis, où ces types d’accords sont déjà criminalisés. 

La nouvelle disposition sur l’infraction criminelle entrera en vigueur le 23 juin 2023. Pour obtenir de plus amples renseignements sur les autres modifications apportées à la Loi (qui sont déjà en vigueur), veuillez consulter nos actualités antérieures.

Accords de fixation des salaires et de non-débauchage : nouvelle infraction criminelle

Le nouvel alinéa 45(1.1) de la Loi criminalisera les accords ou les ententes entre employeurs non affiliés visant à :

  • fixer, maintenir, réduire ou contrôler les salaires, les traitements ou les conditions d’emploi (« accords de fixation des salaires »); 
  • ne pas solliciter ou embaucher les employés de l’autre employeur (accords de « non-débauchage » ou de « non-embauche »).

Les employeurs qui participent à un accord de fixation des salaires ou de non-débauchage illégal s’exposent à d’importantes pénalités criminelles, y compris une peine emprisonnement maximale de 14 ans ou une amende déterminée par le tribunal, ou les deux. Ils pourraient également être déclarés civilement responsables de dommages intérêts.

Projet de lignes directrices sur l’application de la loi

Le projet de lignes directrices décrit l’approche que le Bureau adoptera pour interpréter et appliquer la nouvelle interdiction visant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage. Bien que les lignes directrices du Bureau n’aient pas force de loi, compte tenu de la grande portée de la nouvelle infraction, qui n’a pas été mise à l’essai, les lignes directrices constitueront un outil important pour les employeurs et leurs conseillers juridiques pour évaluer les risques lors de la rédaction et de la négociation de ce type de clauses.

Le projet de lignes directrices donne un aperçu de l’approche du Bureau en matière d’application de la loi dans différentes situations, notamment les suivantes :

  • Les entrepreneurs indépendants seront-ils visés par la portée de la nouvelle infraction? Non. Le projet de lignes directrices laisse entendre qu’une relation employeur-employé doit exister pour déclencher l’application de la nouvelle infraction. Bien que cela ne soit pas explicitement mentionné, cela laisse entendre que les accords relatifs aux modalités des ententes avec des entrepreneurs indépendants ne feront pas l’objet de sanctions criminelles. 
  • Qu’entend-on par « fixer les conditions d’emploi »? Le sous-alinéa 45(1.1)a) interdit non seulement les accords qui fixent les salaires et les traitements, mais aussi ceux qui fixent les « conditions d’emploi ». Le projet de lignes directrices définit cette expression de façon générale comme étant « des responsabilités, politiques et avantages associés à un emploi » comme les descriptions de poste, les allocations et les remboursements, la rémunération non monétaire, les heures de travail, le lieu de travail et les directives (y compris les dispositions de non-concurrence) susceptibles de restreindre les perspectives d’emploi d’une personne. 
  • Seuls les accords de non-débauchage réciproques seront criminalisés. Le projet de lignes directrices sur l’application de la loi clarifie que les accords de non-débauchage ne sont illégaux que si deux employeurs ou plus conviennent de ne pas solliciter ou embaucher des employés « de l’autre » employeur. Les situations où une seule partie a convenu de ne pas débaucher l’employé d’une autre partie (et où il n’y a pas d’accord réciproque de ne pas débaucher les employés de la première partie) ne seront pas visées par la nouvelle disposition criminelle. Bien que cela soit rassurant dans certains cas, il n’en demeure pas moins que de nombreux accords de non-débauchage sont légitimement réciproques (par exemple, dans le cas de coentreprises ou d’autres ententes de collaboration). 
  • Comment le Bureau appliquera-t-il la défense fondée sur les restrictions accessoires? La défense fondée sur les restrictions accessoires peut être invoquée lorsque les parties peuvent démontrer qu’une entente qui serait autrement illégale est accessoire à un accord plus large entre les mêmes parties et qu’elle est « directement liée et raisonnablement nécessaire » à la réalisation de l’objectif de cet accord plus large. Conformément au projet de lignes directrices, de façon générale, le Bureau ne contestera pas les clauses de fixation des salaires et de non-débauchage dans des conventions de fusion, des coentreprises ou des alliances stratégiques aux termes de la nouvelle disposition criminelle, sauf si les clauses sont clairement plus larges que nécessaire en ce qui concerne les employés visés, les territoires ou la durée, ou lorsque la fusion, la coentreprise ou l’alliance stratégique est une imposture1 . Encore une fois, bien que cela soit utile, le Bureau se réserve un vaste pouvoir discrétionnaire de remettre en question et peut-être de prendre des mesures d’application de la loi dans des circonstances où les parties n’avaient aucune intention d’agir illégalement.
  • Comment les clauses de non-débauchage dans les contrats de franchise seront-elles traitées? De façon générale, le Bureau traitera les clauses de non-débauchage dans les contrats de franchise comme étant interdites aux termes de la nouvelle infraction, sauf si les parties peuvent démontrer que la clause de non-débauchage est liée au contrat de franchise plus large et nécessaire à sa réalisation. Les franchiseurs et les franchisés devraient examiner leurs contrats attentivement ainsi que leurs pratiques connexes en matière d’emploi compte tenu de ces nouvelles dispositions.

Conclusion

Bien que sa forme définitive puisse changer après la période de commentaires, le projet de lignes directrices offre néanmoins un aperçu de l’approche en matière d’application de la loi envisagée par le Bureau en ce qui concerne les accords de fixation des salaires et de non-débauchage. 

Malheureusement, le projet de lignes directrices accorde au Bureau un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi et il n’est pas clair quant au traitement des ententes légitimes entre employeurs qui ont été conclues avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Compte tenu de l’importance potentielle de cette question, le Bureau devrait fournir aux entreprises des précisions suffisantes sur le traitement des ententes existantes aux termes des nouvelles dispositions. Entre-temps, les entreprises ayant déjà conclu des ententes comportant les types de dispositions visées par la nouvelle loi doivent déterminer les mesures à prendre pour gérer les possibles questions de conformité.

Cette situation est particulièrement problématique du fait qu’une société ne peut modifier unilatéralement un contrat et que tenter de renégocier des contrats pour tenir compte d’une disposition peut ouvrir la porte à l’autre partie pour négocier des modalités non liées. Toutefois, cette préoccupation peut être atténuée dans la plupart des cas, car la question de conformité s’applique également à toutes les parties à un accord de fixation des salaires et de non-débauchage potentiellement problématique. 

Le projet de lignes directrices sert également d’avertissement important pour le milieu des affaires : dans l’avenir, même les clauses de fixation des salaires et de non-débauchage dans les ententes commerciales doivent être rédigées avec soin pour s’assurer qu’elles sont conformes à la nouvelle disposition et qu’elles sont considérées comme une partie nécessaire d’une convention plus large par ailleurs légitime pour être protégées aux termes de la défense fondée sur les restrictions accessoires. Les clauses ou les ententes qui sont trop larges (en termes de durée, d’objet, de portée géographique, etc.) ou qui ne sont pas nécessaires pour atteindre les objectifs de l’entente plus large entre les parties ne peuvent être visées par cette défense.

Norton Rose Fulbright continuera de surveiller le processus de consultation et le moment probable de la publication du projet de lignes directrices. Bien que le projet de lignes directrices laisse entendre que le Bureau adoptera une approche mesurée dans ce domaine, il est important que les entreprises examinent leurs ententes et leurs pratiques pour régler les problèmes de conformité éventuels avant l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition le 23 juin 2023.


Notes

1   Le Bureau peut tout de même examiner les conventions qui ne sont pas visées par les dispositions criminelles aux termes des dispositions civiles de la Loi si ces conventions sont susceptibles d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché.



Personnes-ressources

Associée
Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Associé principal
Associé
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence

Publications récentes

Abonnez-vous et restez à l’affût des nouvelles juridiques, informations et événements les plus récents...