Dans une décision récente, Matco Tools Corporation v. Canada (Attorney General), la Cour fédérale a infirmé une décision du commissaire aux brevets (commissaire) concernant l’omission d’un demandeur de brevet de respecter la norme de la « diligence requise » dans le cadre du défaut de paiement d’une taxe pour le maintien en état. Jusqu’alors, le commissaire avait imposé à toutes les parties concernées par les processus liés aux brevets et aux demandes de brevets une norme élevée en matière de diligence requise. Selon la décision dans Matco tools, une norme de diligence requise moins élevée peut s’avérer plus appropriée.
Régime des taxes pour le maintien en état et norme de « diligence requise »
Aux termes du régime des taxes pour le maintien en état, les titulaires et demandeurs de brevets doivent payer des taxes chaque année pour maintenir en état leurs brevets et demandes de brevet. Si une taxe n’est pas payée dans un délai de six mois, le brevet visé sera réputé périmé. De la même façon, une demande de brevet sera considérée comme abandonnée à l’issue du même délai.
Le régime canadien des taxes pour le maintien en état a été modifié en 2019 afin de respecter le traité international intitulé Traité sur le droit des brevets. Aux termes de ces modifications, en cas d’omission du paiement de la taxe pour le maintien en état, le commissaire doit transmettre au titulaire du brevet un avis écrit stipulant que le brevet sera réputé périmé (ou la demande abandonnée) si la taxe pour le maintien en état et une surtaxe ne sont pas payées dans un certain délai1.
Si le brevet est réputé périmé (ou la demande abandonnée), le commissaire peut tout de même rétablir le brevet, à la condition que le titulaire du brevet paie les taxes requises dans un délai de douze mois après la fin du délai de paiement de la surtaxe et établisse que l’omission « a été commise bien que la diligence requise en l’espèce ait été exercée2 ».
Dans les faits, le commissaire a conclu que la norme de la « diligence requise » avait été satisfaite dans environ 13 % de toutes les demandes de rétablissement3. Les exemples dans lesquels la norme de la « diligence requise » a été respectée comprenaient des situations où des erreurs imprévisibles entraient en ligne de compte, comme des pannes de service Internet, des décès soudains ou un dysfonctionnement technique des systèmes.
Résumé des faits dans la décision Matco Tools
La demande de brevets dans Matco tools (demande) a été présentée par le conseiller juridique américain de Matco, qui a chargé un agent de brevets canadien au dossier de mener à bien la poursuite canadienne. L’agent de brevets canadien n’a eu aucun contact direct avec le client et a collaboré uniquement avec le conseiller juridique américain. Le conseiller juridique américain et l’agent de brevets canadien ont tous deux reçu la consigne explicite de ne pas prendre de mesure supplémentaire dans ces dossiers relativement au paiement des annuités et des frais pour le maintien en état; la gestion de ces frais devait être assurée par un tiers fournisseur de paiements dont les services avaient été retenus par Matco.
En juin 2021, Matco a décidé de changer de tiers fournisseur de paiements. Dans le cadre de la migration entre les fournisseurs qui s’en est suivie, un courriel a été envoyé à Matco récapitulant les données transférées au nouveau fournisseur. Bien qu’il ait été précisé dans ce courriel que le portefeuille de brevets de Matco avait été [TRADUCTION] « importé avec succès », l’une des sept pièces jointes était un « rapport des cas non importés ». Ce rapport mettait en avant deux demandes de brevets qui n’avaient pas été importées en raison de données manquantes, l’une d’entre elles étant la demande en question (rapport).
Le vice-président de la propriété intellectuelle de Matco, responsable en dernier ressort de la supervision du portefeuille de brevets de Matco, a attesté n’avoir jamais vu ce rapport. Ainsi, la demande n’a jamais été importée dans la base de données du nouveau tiers fournisseur et la taxe pour le maintien en état n’a pas été payée.
Par la suite, l’agent canadien a transféré un rappel d’échéance au conseiller juridique américain ainsi que l’avis de surtaxe subséquent. Le conseiller juridique américain, suivantles consignes strictes qu’il avait reçu de ne prendre aucune mesure concernant les taxes pour le maintien en état, n’a transféré ces avis à Matco dans aucun des deux cas. La demande a ensuite été réputée abandonnée en raison de l’omission de payer la taxe pour le maintien en état.
La question n’a seulement été portée à l’attention de Matco qu’à l’occasion d’une rencontre annuelle avec son conseiller juridique américain, peu après l’abandon réputé. Une demande de rétablissement a ensuite été déposée, mais elle a été rejetée par le commissaire.
Décision de la Cour fédérale
Afin d’évaluer la diligence requise, le commissaire a adopté un critère à deux volets, consistant à déterminer 1) si le demandeur avait pris toutes les mesures qu’un demandeur raisonnablement prudent aurait prises compte tenu des circonstances particulières afin de prévenir l’omission de paiement et 2) si, malgré ces mesures, l’omission se serait néanmoins produite.
Le commissaire a conclu que l’erreur de migration ne devait pas être prise en compte dans le cadre de l’analyse de la diligence requise, étant donné que l’abandon aurait pu être évité par un traitement approprié de l’avis de surtaxe. Il a estimé qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucune explication satisfaisante » à l’omission du conseiller juridique américain de transmettre l’avis de surtaxe à Matco.
La Cour fédérale a infirmé la décision du commissaire, estimant qu’elle n’était pas raisonnable. Rien dans la loi ni les lignes directrices ne va dans le sens d’une exclusion de la première omission (c.-à-d. l’erreur de migration) de l’analyse de la diligence requise. En effet, la Cour a conclu que l’erreur de migration était la [TRADUCTION] « cause directe » ayant mené à l’abandon réputé de la demande.
Il est crucial pour le commissaire de déterminer et d’examiner la « cause directe » dans le cadre de l’analyse de la diligence requise. Même si la diligence requise n’a pas été exercée pour éviter la « cause directe », il peut toutefois être approprié de demander si elle l’a été par la suite afin d’atténuer les effets de cette cause. Selon la Cour, [TRADUCTION] « [une] enquête solide sur la diligence requise devrait couvrir la suite d’événements dans son ensemble, de la toute première cause fondamentale à la dernière occasion de correction4 ».
La Cour a également affirmé qu’il était inexact pour le commissaire de conclure, selon les faits au dossier, à l’absence d’explications concernant le défaut d’agir de la part du conseiller juridique américain. Ce dernier a agi selon des consignes et des connaissances limitées dans les circonstances5.
La Cour a renvoyé l’affaire au commissaire pour qu’il la réexamine à la lumière d’arguments additionnels de la part du demandeur, qui doit présenter les mesures au titre de la diligence requise qui ont été mises en place afin d’éviter l’erreur de migration des données et la défaillance de communication subséquente.
Principaux points à retenir
La décision de la Cour soutient une analyse plus large de la diligence requise par le commissaire, comprenant notamment l’examen par ce dernier de l’ensemble des événements ayant mené à l’omission de payer la taxe6.
Le procureur général a porté cette décision en appel devant la Cour d’appel fédérale (A-42-25).
Les auteur·rices tiennent à remercier Chris Black, stagiaire, pour son aide dans la préparation de ce bulletin PI dans la mire.
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