Le fardeau des employeurs en matière de tenue de registre sur le point d’être alourdi : les agences de personnel dans la mire du gouvernement

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Mondial Publication Novembre 2015

Introduction

Le 2 septembre dernier, le gouvernement du Québec, par l’entremise du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, M. Sam Hamad, publiait un projet de règlement dont l’objectif est d’assurer une meilleure protection des travailleurs employés par des agences de personnel. Il s’agit du Règlement modifiant le règlement sur la tenue d’un système d’enregistrement ou d’un registre.

Le public a alors été invité à donner son opinion sur ledit projet dans les 45 jours.

Bien que certains organismes, dont le Conseil du patronat du Québec, aient répondu à cet appel, il semble que ce projet de règlement soit passé sous le radar de plusieurs intervenants du milieu. Il est donc permis de croire que les modifications envisagées entreront en vigueur dans les six (6) mois suivant la publication du projet de règlement, soit à compter du 2 mars 2016.

Or, outre qu’il alourdira la tâche des entreprises en matière de tenue des registres, ce projet de règlement soulève plusieurs questions : Quelle sera l’étendue des renseignements que les entreprises ayant recours à des tiers afin de combler leur personnel (tiers) devront consigner dans leur registre? En quoi le fait de consigner ces renseignements assurera-t-il une meilleure protection des employés d’agences de personnel?

Le contenu du projet de règlement

Le projet de règlement introduit un nouvel article dans l’actuel Règlement sur la tenue d’un système d’enregistrement ou d’un registre. Cet article se lit comme suit :

« 1.2. Un employeur qui utilise les services de salariés provenant d’un tiers pour combler ses besoins en personnel, notamment les services d’une agence de placement, doit également indiquer à son système d’enregistrement ou à son registre pour chacun de ces salariés, ses nom, prénoms, adresse, numéro d’assurance sociale, l’identification de son emploi et la date de son début d’affectation, ainsi que les renseignements suivants, le cas échéant, pour chaque période de paie :

a) le nombre d’heures de travail par jour;
b) le total des heures de travail par semaine;
c) le nombre d’heures supplémentaires payées ou remplacées par un congé avec la majoration applicable;
d) le nombre de jours de travail par semaine;
e) le montant versé au tiers.

Dans un tel cas, il doit aussi y indiquer les noms, nom du représentant, adresse, adresse électronique, numéro de téléphone et numéro de télécopieur du tiers. » [nous soulignons]

Ainsi, non seulement l’employeur doit-il tenir un registre contenant la plupart des informations énumérées à l’article 1.2. à l’égard de ses propres employés, mais il devra désormais également consigner ces renseignements à l’égard des employés des tiers, y incluant le montant versé à cette tierce partie.

Dans un document publié le 31 août 20151, la Division de la recherche de la Commission des normes du travail (CNT) indique que l’objectif des modifications proposées est de protéger les travailleurs contre l’émergence des agences de personnel dites « fly by night », soit les agences qui apparaissent et disparaissent aussi vite, non sans avoir pris soin de laisser derrière elles des employés impayés.

Pour la CNT, les modifications comprises dans le projet de loi favoriseront la responsabilisation des employeurs qui ont recours à des agences de personnel, lesquels éviteront désormais les agences peu solvables ou illicites.

Soulignons toutefois que bien que le règlement donne l’exemple d’une agence de placement, le terme « tiers » n’y est pas défini. Pourrait-il viser les employés d’un sous-traitant? À notre avis, du moment que les employés de ce sous-traitant comblent un besoin de personnel, certains pourront prétendre que oui, et ce, compte tenu de l’interprétation large et libérale que les tribunaux risquent d’adopter de la notion de tiers en l’espèce.

L’impact du projet

La responsabilité solidaire de l’employeur qui a recours aux employés d’un tiers

Une première question se pose : Pourquoi le seul fait d’obliger les employeurs à tenir un registre détaillé concernant les employés de tiers, notamment ceux des agences de personnel, fera-t-il en sorte qu’ils choisiront désormais des tiers « solvables » qui respectent les droits de leurs employés?

À notre avis, la réponse se trouve dans l’obligation qu’impose l’article 95 de la Loi sur les normes du travail (LNT) aux employeurs. En effet, cet article prévoit que l’employeur est solidairement responsable des obligations pécuniaires que l’entrepreneur ou le sous-traitant avec qui il fait affaire a envers ses propres employés.

Pourquoi, si ce n’est pas en vue de retenir leur responsabilité, les registres responsabiliseraient-ils les entreprises dans leur choix d’agence de personnel? Poser la question, c’est selon nous y répondre.

Il est par ailleurs des plus intéressant de noter que la Commission des lésions professionnelles (CLP) n’a pas hésité à conclure que le terme « entrepreneur » retrouvé à l’article 316 de la Loi sur les accidents du travail (LATMP) vise également les agences de personnel2. Similaire à l’article 95 de la LNT, l’article 316 de la LATMP prévoit que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) peut exiger d’un employeur le paiement des cotisations dues par un entrepreneur avec qui il fait affaire.

Ainsi, dans la décision de principe Industrie Pro-Pals3 rendue en 2008, la CLP indiquait notamment que l’article 316 doit être interprété de façon large et libérale, « (…) et ce de façon à permettre l’atteinte de son objectif, qui est celui d’« inciter » un employeur, donneur d’ouvrage, à s’assurer que les sous-traitants paient les cotisations dues à la CSST ».

Bien que certaines distinctions puissent être faites entre la LNT et la LATMP4, il demeure que le syllogisme juridique utilisé par la CLP dans ces décisions est susceptible d’influencer les décideurs qui auront à se pencher sur la portée du terme « entrepreneur » ou « sous-traitant » retrouvé à l’article 95 de la LNT.

Autrement dit, il y a fort à parier que la CNT prétendra que les sommes indiquées au registre de l’entreprise qui a recours à une agence qui disparaît du jour au lendemain sont dues par cette entreprise.

L’étendue des données consignées quant à la valeur du contrat

S’il est aisé de comprendre, eu égard à l’objectif des modifications proposées, que l’employeur devra désormais consigner le nom des employés de tiers à qui elle loue du personnel, les heures qu’ils effectuent, leurs coordonnées, etc., il est permis de se questionner sur la nécessité que le montant versé au tiers soit indiqué.

En effet, le prix du contrat avec l’agence de personnel n’est pas nécessairement corollaire du taux horaire payé aux employés que l’on veut ainsi protéger. Or, il s’agit là d’une information d’affaires pour le moins sensible que plusieurs entreprises seront réfractaires à consigner.

Qui plus est, en principe, le taux horaire convenu par l’employé avec l’agence de placement est une information que la CNT peut facilement obtenir auprès de l’employé. Pourquoi alors exiger de consigner le montant versé au tiers, sans plus de précisions?

Espérons que le projet de règlement sera modifié de manière à refléter cette préoccupation.

Conclusions et recommandations

À notre avis, les modifications envisagées insistent clairement sur la nécessité que les employeurs s’assurent que les tiers avec qui ils font affaire sont des entités corporatives responsables, qui respectent les obligations qui leur incombent, notamment en vertu de la LNT et de la LATMP. Le défaut de faire les vérifications nécessaires en ce sens peut en effet être coûteux; l’entreprise qui a payé le tiers pourrait devoir payer les employés impayés de ce tiers, ou encore la CSST.

Nous vous recommandons donc fortement de prendre dès maintenant les mesures nécessaires afin de vous prémunir contre les conséquences de faire affaire avec une agence peu scrupuleuse. À titre d’exemple, outre le fait que vous pouvez demander à la CSST une lettre attestant que « l’entrepreneur » a payé ses cotisations tel que le prévoit l’article 316 de la LATMP, vous pouvez également conclure une entente avec le tiers afin d’exiger une garantie de paiement des employés visés ou encore prévoir un versement des sommes dues sur une base hebdomadaire, et ce, uniquement après preuve de paiement des employés visés et des cotisations dues à la CSST.

Soyez assurés que nous veillerons à vous informer dès que le règlement entrera en vigueur.

Notes

  1. En ligne : https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/etudes_d_impact/AIR_CNT_version_publique_31_08_15.pdf
  2. Poissonnerie Cowie (1985) inc. et CSST, 2014 QCCLP 6957 (Requête en révision demandée); Armoires Fabritec ltée et CSST, 2008 QCCLP 1932; Plats du Chef inc. 2010 QCCLP 8347.
  3. Industrie Pro-Pals ltée et CSST, 2008 QCCLP 4044.
  4. Notamment, le fait que la LNT ne prévoit pas, comme le fait l’article 5 de la LATMP, de présomption selon laquelle l’employeur qui utilise les employés d’un tiers est présumé être leur employeur aux fins de l’article 95 de la LNT.


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