Le 19 décembre 2023, une formation de cinq juges de la Cour d’appel du Québec a accueilli le pourvoi du Directeur des poursuites criminelles et pénales logé à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure qui avait ordonné un nouveau procès pour le défendeur Adrian Dafinei accusé d’avoir commis une infraction pénale provinciale (l’Accusé). 

Cet arrêt de la Cour d’appel dans Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Dafinei1 se révèle pertinent, puisque la Cour y énonce d’emblée avoir siégé en une formation de cinq juges « dans le but de clarifier le droit québécois encadrant l’interprétation des infractions pénales provinciales »2 plus particulièrement en ce qui a trait à la classification des infractions pénales provinciales. Cette classification est d’intérêt, puisque, selon le cas, différentes défenses peuvent être admissibles à une entité ou personne accusée. Par exemple, l’infraction de responsabilité stricte offre à l’entité ou la personne accusée la possibilité de soulever une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait raisonnable, ce que ne permet pas l’infraction de responsabilité absolue.


Le contexte factuel

En première instance, la juge du procès a conclu que l’infraction prétendument commise par l’Accusé faisait partie de la catégorie des infractions de responsabilité absolue et a déclaré l’Accusé coupable3. En appel, la Cour supérieure a conclu que l’infraction appartenait à la catégorie des infractions de responsabilité stricte et a ordonné la tenue d’un nouveau procès4. En ce qui a trait à la Cour d’appel, elle conclut que l’infraction en est une de responsabilité stricte, mais accueille l’appel pour d’autres raisons.

Une présomption voulant que les infractions pénales provinciales soient de responsabilité stricte 

D’entrée de jeu, la Cour d’appel précise qu’il existe au Québec une présomption issue de l’arrêt Sault Ste-Marie5 de la Cour suprême du Canada voulant que l’ensemble des infractions pénales de compétence provinciale soit de responsabilité stricte. Selon la Cour d’appel, deux exceptions permettent d’écarter cette présomption : 1) l’infraction exigeant la démonstration d’une faute (c.-à-d. une infraction de mens rea) et 2) l’infraction de responsabilité absolue. Ces exceptions ne pourront trouver application que si elles s’imposent en raison a) d’un texte de loi exprès ou b) par déduction nécessaire découlant du contexte législatif6. La Cour d’appel enseigne également qu’il s’agit là d’un principe général et que « [t]oute jurisprudence antérieure sur la classification des infractions pénales provinciales qui serait incompatible avec ce principe doit être considérée comme écartée »7

De l’avis de la Cour d’appel, ce principe général permet d’éliminer « toute ambiguïté relativement à la qualification des infractions pénales provinciales au Québec ». Ainsi, toute infraction pénale au Québec est de responsabilité stricte, à moins qu’elle puisse, en raison d’une « indication claire de la volonté législative » (par législation expresse ou en raison du contexte législatif), se qualifier d’infraction de mens rea ou d’infraction de responsabilité absolue8

Réaffirmation des principes de l’arrêt Sault Ste-Marie et incidences sur d’autres domaines du droit pénal provincial

Ce récent arrêt de la Cour d’appel peut être vu comme une réaffirmation de l’importance des principes de l’arrêt Sault Ste-Marie en droit pénal québécois.

Il sera par ailleurs intéressant dans les prochains mois et années de constater l’incidence de cet arrêt dans le cadre des poursuites intentées par les différents organismes réglementaires provinciaux, par exemple en matière de valeurs mobilières ou encore de protection de l’environnement.

Par exemple, en 2018, dans l’arrêt Autorité des marchés financiers c. Forget9, la Cour d’appel avait confirmé que l’infraction de manipulation de marché prévue à l’article 195.2 de la Loi sur les valeurs mobilières10 était une infraction qui requiert une preuve d’intention en raison de l’objet de la législation, du libellé particulier de la disposition et de la gravité de la peine associée à cette infraction11. À notre avis, cette classification est conforme aux clarifications apportées par la Cour d’appel dans l’arrêt Dafinei, puisque le libellé de l’infraction de manipulation de marché et son contexte législatif démontrent une volonté législative claire d’en faire une infraction de mens rea. Toutefois, il est trop tôt pour prédire l’incidence qu’aura l’arrêt Dafinei en ces autres matières.

Plus de développements à venir au fur et à mesure que les tribunaux appliqueront ces clarifications!


Notes

1   2023 QCCA 1596.

2   Id., par. 1.

3   Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Dafinei, 2020 QCCQ 3875.

4   Dafinei c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2021 QCCS 4332, par. 71.

5   R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299.

6   Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Dafinei, 2023 QCCA 1596, par. 6.

7   Id., par. 7.

8   Id., par. 10.

9   2018 QCCA 1419.

10   Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c V-1.1, art. 195.2 : « Constitue une infraction le fait d’influencer ou de tenter d’influencer le cours ou la valeur d’un titre par des pratiques déloyales, abusives ou frauduleuses ».

11   Autorité des marchés financiers c. Forget, 2018 QCCA 1419, par. 14-17.



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