Les déclarations faites à la police par des individus qui n’ont pas été informés de leurs droits peuvent-elles être considérées comme des déclarations volontaires? Dans l’arrêt R c. Tessier1, la Cour suprême du Canada a répondu à la majorité par l’affirmative.

Les entreprises et les individus visés par des enquêtes de conformité devraient prêter attention à cette affaire importante et prendre la mesure de ses conséquences, à savoir que l’absence de mise en garde ne signifie pas que le témoin n’est pas (ou ne deviendra pas) un suspect ni que ses déclarations ne pourront être utilisées en preuve comme des confessions volontaires et admissibles.


Contexte

M. Tessier était un ami de la victime, tuée par balle. Il a volontairement accepté d’être interrogé par la police, qui interrogeait plusieurs amis de la victime. La police n’a pas mis en garde M. Tessier qu’il avait le droit de garder le silence, que ses déclarations pourraient être utilisées en preuve ou qu’il avait droit à l’assistance d’un avocat. Le même jour, au cours d'un second interrogatoire, M. Tessier a révélé qu’il avait récemment acheté une arme à feu. Ce n’est que par la suite qu’on a procédé à l’arrestation de M. Tessier, à la lecture de ses droits et qu’on l’a mis en garde.

En l’espèce, la Cour suprême devait déterminer si les déclarations antérieures de l’accusé étaient volontaires et donc admissibles en vertu de la règle des confessions de la common law.

Règle des confessions de la common law

En vertu de la common law, une déclaration est jugée inadmissible s’il existe un doute raisonnable quant à son caractère volontaire. Pour établir si, oui ou non, une déclaration est admissible, il convient de procéder à une analyse fondée sur les faits en tenant compte de plusieurs facteurs, comme l’existence de menaces ou de promesses et de ruses policières.

Une mise en garde s’impose-t-elle lorsque l’on s’adresse à quelqu’un qui n’a pas été inculpé?

Une mise en garde vise à corriger un déséquilibre informationnel entre une personne accusée, qui est dans un état de vulnérabilité, et les forces de l’ordre.

La majorité a fait remarquer que, bien que l’absence de mise en garde joue un rôle important dans l’analyse du caractère volontaire d’une déclaration, il ne s’agit pas d’un facteur déterminant, surtout dans les affaires où une personne est interrogée sans pour autant être un suspect. La majorité a estimé que les considérations liées à l’équité s’appliquent clairement une fois qu’une personne est ciblée par l’État, car l’obligation de faire une mise en garde à une personne chaque fois qu’elle est interrogée s’avérerait trop fastidieuse pour l’administration de la justice dans les cas où il n’y aurait aucune injustice.

Les juges dissidents, quant à eux, étaient d’avis qu’une mise en garde devrait être formulée au début de tous les interrogatoires et non pas uniquement aux personnes suspectes et détenues. Ces deux juges ont caractérisé la mise en garde comme « une simple phrase [qui] jette les bases nécessaires au caractère volontaire et améliore l’équité du processus ».

À quel moment un témoin devient-il un suspect?

La majorité de la Cour suprême a estimé qu’une personne serait considérée comme un suspect s’il existe des « faits objectivement discernables connus de l’agent qui procède à l’interrogatoire au moment de l’interrogatoire qui pourraient amener un enquêteur raisonnablement compétent à conclure que la personne interrogée [est] impliquée dans l’infraction criminelle visée par l’enquête ».

La majorité a conclu que si un suspect n’était pas mis en garde, il s’agirait d’une preuve prima facie d’un déni inéquitable de choix. Toutefois, la Couronne peut toujours prouver que l’accusé a compris subjectivement le droit au silence ou les conséquences de sa déclaration.

En l’espèce, la majorité a établi que M. Tessier était un suspect au moment de son interrogatoire. Par conséquent, l’absence de mise en garde constitue une preuve prima facie que les déclarations de l’accusé étaient involontaires. Toutefois, la Couronne a réfuté la présomption en prouvant que M. Tessier avait choisi librement de parler à la police et n’avait pas été injustement privé de son droit de garder le silence. Pour cette raison, sa déclaration fût jugée volontaire.

Principaux points à retenir

Toutes les personnes interrogées par la police devraient prendre garde au risque d’auto-incrimination, même si elles ne sont pas considérées comme des suspects au moment de l’interrogatoire et n’ont pas été avisées de leur droit de garder le silence, de leur droit à l’assistance d’un avocat ou du fait que leurs déclarations pourraient être utilisées en preuve.

Cette décision est particulièrement importante pour les entreprises mises en cause dans des enquêtes de conformité ou dans des perquisitions, dont les employés et la direction ne seraient pas généralement considérés comme des « suspects » au sens de la définition donnée ci-dessus.

Les entreprises devraient envisager de prendre des mesures supplémentaires pour s’assurer que leurs employés sont au fait de leurs droits au cours d’une enquête. Les entreprises mises en cause dans des enquêtes de conformité pourraient envisager de s’adjoindre les services d’un avocat indépendant à la disposition des employés pendant ces enquêtes (qui serait chargé de s’assurer que les témoins individuels sont dûment informés de leurs droits). À défaut, les entreprises, mais également les témoins, pourraient faire face à de graves conséquences.

L’autrice désire remercier Alexandra Toutant, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   2022 CSC 35.



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