Le Canada propose d’accélérer le processus d’approbation des grands projets d’infrastructure en vertu d’une nouvelle législation, tout en promettant de respecter les droits des peuples autochtones. Cette accélération nécessitera une modification des approches actuelles d’engagement auprès des communautés autochtones.
Toutefois, l’obligation constitutionnelle de consultation demeure. En effet, le gouvernement du Canada (gouvernement), les promoteurs de projets et les groupes autochtones doivent s’appuyer sur une plus vaste gamme de principes de négociation afin que toute la population canadienne bénéficie des projets « d’intérêt national ».
Le présent bulletin présente un aperçu des principaux facteurs juridiques relatifs aux peuples autochtones qui demeurent applicables malgré l’adoption du régime simplifié de la Loi visant à bâtir le Canada.
L’encadrement des droits des Autochtones dans la Loi
Le 26 juin, la Loi visant à bâtir le Canada (Loi) est entrée en vigueur. Elle vise à simplifier le processus d’approbation réglementaire des projets d’infrastructure d’importance nationale. Veuillez vous reporter à notre bulletin publié précédemment intitulé How the new Building Canada Act works (en anglais seulement) pour plus de détails.
En bref, la Loi permet au cabinet fédéral de classer certains projets d’infrastructure comme étant d’intérêt national. La Loi permet explicitement aux promoteurs de simplifier le processus d’approbation en considérant que toutes les exigences fédérales sont préalablement « satisfaites » et en évitant la phase de planification pour les projets qui relèvent de la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI).
Toutefois, dans son préambule, la Loi affirme également que le gouvernement s’engage à travailler en partenariat avec les peuples autochtones et à respecter à la fois :
- les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (art. 35); et
- les droits prévus par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) .1
Cet équilibre entre le respect des droits des Autochtones et les objectifs de développement économique urgent de la Loi est également reflété à l’article 4, lequel présente l’objet de la Loi.
Ces dispositions centrales, au même titre que d’autres dispositions dans le corps de la Loi, indiquent clairement que les facteurs fondamentaux du cadre juridique autochtone – l’obligation de consultation et les enjeux non résolus de titre et de droits issus de traités – seront inextricablement liés à tout projet d’intérêt national sous le régime de la Loi.
L’opérationnalisation des droits des Autochtones
À titre d’obligations constitutionnelles, l’honneur de la Couronne et l’obligation de consultation ne peuvent être abrogés par voie législative. En effet, l’obligation de consultation est ancrée dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît et affirme les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones et exige que la Couronne agisse honorablement dans ses rapports avec ceux-ci. Le fait pour un projet d’être « approuvé » ne signifie pas que l’obligation de consultation est automatiquement satisfaite. Tombent sous le coup de la Loi les gestes de la Couronne qui sont susceptibles de porter atteinte à des droits ou titres des Autochtones, qu’ils soient prouvés ou revendiqués. À ce titre, la Couronne doit consulter les communautés autochtones concernées et les accommoder, s’il y a lieu.
La Loi reconnaît d’ailleurs ce qui précède, comme en font foi ses dispositions concernant : la liste des projets d’intérêt national, à son Annexe 1 (paragraphe 5(7)); la délivrance de documents (alinéa 7(2)c) et paragraphe 2.1)); et la modification des conditions ou des documents (paragraphe 8(3)). Toutes ces dispositions exigent explicitement la consultation des peuples autochtones dont les droits pourraient être affectés de manière défavorable.
Selon la procédure d’examen fédéral simplifiée prévue par la Loi, le Bureau des grands projets sera lui-même chargé de mener des consultations directes avec les détenteurs de droits autochtones concernés par les projets potentiels. Compte tenu des pratiques actuelles de consultation au sein du gouvernement, y compris la délégation d’aspects procéduraux aux promoteurs de projets, il n’est pas clair de quelle manière la consultation du Bureau des grands projets sera plus rapide que les processus réglementaires fédéraux actuels. Non seulement n’est-il pas facile d’accélérer un processus tel que la consultation – en particulier lorsque les effets sur l’environnement sont potentiellement importants et inconnus – mais il est aussi compliqué de le faire étant donné qu’il n’est pas certain que les conditions imposées par la Loi en matière d’atténuation et d’accommodement pourront être satisfaites dans tous les cas.
L’expérience nous enseigne que l’absence de consultations et d’accommodements adéquats peut donner lieu à d’importants litiges dans le cadre de grands projets au Canada. Bien que le consentement ne soit pas nécessaire pour qu’un projet aille de l’avant, sans le soutien nécessaire des communautés autochtones, sa mise en œuvre pourra être retardée par des procédures judiciaires, voire l’intervention physique de communautés.
À ce jour, les communautés autochtones ont exprimé plusieurs préoccupations concernant la Loi, notamment l’absence de consultations avant sa présentation, sa prépondérance sur certaines lois en vigueur, certains conflits avec la DNUDPA et avec le droit à l’autodétermination ainsi qu’une définition étroite de l’« intérêt national » qui risque d’exclure les perspectives et les priorités des peuples autochtones. Plusieurs recours judiciaires ont déjà été présentés contre la Loi2.
Vers une réconciliation économique
Le seul moyen d’atteindre l’objectif principal de la Loi, soit faire avancer les projets d’intérêt national grâce à « un processus accéléré qui renforce la certitude réglementaire et la confiance des investisseurs » tout en respectant ce solide fondement juridique, consiste en une collaboration accrue et évolutive avec les parties autochtones.
Pour tenter de répondre à certaines des critiques formulées à propos de la Loi, le gouvernement fédéral a mis sur pied un Conseil consultatif autochtone au sein du Bureau des grands projets et s’est engagé à doubler, pour le porter à 10 milliards de dollars, le programme de garantie de prêts pour les Autochtones afin d’aider à débloquer des capitaux pour permettre aux communautés autochtones de participer à part entière dans les grands projets d’intérêt national. La Banque des Premières Nations du Canada, qui accorde des prêts aux communautés et aux peuples autochtones, notamment aux fins de projets commerciaux, indique chercher à obtenir 50 millions de dollars de capitaux propres dans l’année à venir afin de renforcer sa capacité à servir le développement économique autochtone.
Le gouvernement fédéral a promis que la Loi contribuera « à accroître la prospérité des communautés autochtones, au moyen de l’équité et de projets de gestion des ressources ». On peut y voir un avertissement à l’industrie de repenser la participation des Autochtones aux projets proposés, mettant l’accent sur la réconciliation économique (dont la participation en capital) plutôt que sur des modes de collaboration plus traditionnels.
Par ailleurs, les cinq premiers projets visés par la Loi sont tous sur le point d’être achevés et/ou en cours de construction. Les consultations s’y rapportant ont déjà été jugées suffisantes ou le seront bientôt. Bien entendu, cela ne s’applique pas à l’état des consultations des autres projets qui seront susceptibles d’être inscrits sur la liste.
Points à retenir
Comme l’a déclaré le gouvernement du Canada : « En favorisant les projets d’intérêt national, le gouvernement du Canada s’engage à travailler en partenariat avec les peuples autochtones pour soutenir la prospérité économique, dans le respect des droits protégés par la Constitution et des obligations au titre des traités modernes. »
Cette promesse ne sera pas facile à réaliser. La clé pour tous les participants pourrait être de se concentrer sur la mesure dans laquelle un projet donné peut promouvoir les intérêts des peuples autochtones à l’aide de partenariats, de collaborations et d’un renforcement des relations accrus afin de favoriser la réconciliation économique : paragraphe 5(6).
Notre cabinet a aidé – et continuera d’aider – les promoteurs de l’industrie, le gouvernement et les communautés et entreprises autochtones à atteindre leurs objectifs économiques communs et à agir pour promouvoir la réconciliation économique.
Les auteur·rices tiennent à remercier Aimee Ferguson, étudiante, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.