Est-ce que la divulgation volontaire d’un document privilégié à un corps policier, dans le cadre d’une enquête criminelle, entraîne une perte du caractère privilégié et confidentiel du document à l’égard de tiers? C’est sur cette question que s’est prononcée la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Centre universitaire de santé McGill c. Lemay1.

Dans cet arrêt, la Cour d’appel enseigne qu’il est possible de collaborer à une enquête policière en divulguant volontairement aux forces de l’ordre des documents privilégiés sans pour autant renoncer à l’application du privilège à l’égard d’autres tiers.  


Le contexte et le document privilégié visé par le litige

Le document faisant l’objet du litige consistait en un rapport juricomptable produit par un cabinet comptable à la demande des avocats du Centre universitaire de santé McGill2. Ce rapport était protégé par le secret professionnel de l’avocat, puisqu’il avait été préparé à la demande des avocats et aux fins de consultations juridiques3

Souhaitant collaborer à l’enquête criminelle, le Centre universitaire de santé McGill a subséquemment remis ce document aux autorités policières. Après cette divulgation volontaire aux forces de l’ordre, une demande d’accès à l’information fut présentée par un tiers afin d’obtenir une copie du rapport. Cette demande fut refusée, ce qui a donné lieu au litige4.

La renonciation au privilège et la divulgation volontaire aux autorités policières

D’entrée de jeu, la Cour d’appel rappelle le principe général voulant que la divulgation à un tiers d’une information privilégiée emporte d’ordinaire une renonciation au privilège5. Le juge Mainville, qui a rédigé les motifs, précise toutefois que ce principe ne doit pas être compris comme emportant une perte de la confidentialité à l’égard de tous chaque fois qu’un document privilégié est communiqué à un tiers6. L’étendue précise de la renonciation au privilège sera fonction du contexte et des faits propres à chaque affaire.  

Après avoir rappelé les grands principes applicables en matière de renonciation au privilège, le juge Mainville, discutant de la question précise de la divulgation volontaire aux forces de l’ordre, réfère aux enseignements de la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire British Coal Corp. v. Dennis Rye Ltd and another (No. 2). Dans cette affaire, il fut décidé que la divulgation de documents protégés par le secret professionnel à la police dans le contexte d’une procédure criminelle ne constituait pas une renonciation au privilège dans des procédures civiles7

Constatant qu’il n’y a « aucun obstacle en droit québécois au raisonnement adopté dans British Coal », le juge Mainville conclut, sur la base du contexte et des faits de l’affaire, qu’en transmettant volontairement le rapport aux forces de l’ordre, le Centre universitaire de santé McGill n’avait pas l’intention de renoncer au privilège à l’égard de tous8. Au soutien de cette conclusion, la Cour retient qu’un cercle restreint de personnes à l’interne ont pris connaissance du rapport et que celui-ci, bien qu’il ait été transmis aux forces de l’ordre sans réserve explicite du privilège, a toujours été traité comme étant privilégié, ce qui démontre l’intention de préserver sa confidentialité malgré sa transmission9.

Collaboration et privilèges

Cet arrêt récent de la Cour d’appel du Québec peut être vu comme une confirmation qu’il est possible, selon les circonstances, pour les entreprises de collaborer à des enquêtes criminelles et de communiquer, entre autres, des documents privilégiés aux forces de l’ordre sans craindre de renoncer aux privilèges à l’égard de tout autre tiers. Il s’agit d’un arrêt important et, à notre connaissance, de la première fois que la Cour d’appel du Québec se prononce sur cette question précise. 

Il offre également une certaine assurance aux entreprises quant au maintien des divers privilèges légaux lorsqu’elles doivent communiquer certaines informations privilégiées à des tiers, comme à leurs vérificateurs externes. 

Finalement, à une époque où différents outils législatifs et programmes existent afin de favoriser la collaboration aux enquêtes criminelles , il sera intéressant de voir l’impact qu’aura cet arrêt dans les années à venir.


Notes

1   2022 QCCA 1394.

2   Ibid., para 9-12. 

3   Ibid., para 15, 19 et 22. 

4   Ibid., para 13-14.

5   Ibid., para 29.

6   Ibid., para 30

7   Ibid., para 39. British Coal Corp v. Dennis Rye Ltd  (No. 2), [1988] 3 All ER 816 (C.A.). Les principes de ce jugement de la Cour d’appel d’Angleterre ont été repris par les tribunaux d’autres provinces canadiennes, voir entre autres : Interprovincial Pipe Line Inc. c. M.R.N., [1996] 1 CF 367; Philip Services Corp. v. Ontario Securities Commission, 2005 CanLII 30328 (ON SCDC)Rekken v. Health Region #1, 2012 SKQB 248.

8   Centre universitaire de santé McGill c. Lemay, 2022 QCCA 1394, para 44-45.

9   Ibid., para 46-50.

10  

À titre d’exemples, les programmes d’immunité et de clémence en vertu de la Loi sur la concurrence ou encore les accords de réparation prévus au Code criminel.



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