Le 13 octobre dernier, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision très attendue dans l’affaire du Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact (Renvoi relatif à la LÉI)1 tranchant sur la constitutionnalité de la LÉI fédérale2. À la surprise générale, elle a conclu à la majorité qu’une grande partie de la LÉI était inconstitutionnelle, établissant clairement que la compétence fédérale en matière de réglementation environnementale et le fédéralisme coopératif avaient tous deux des limites bien définies et ne sauraient permettre un empiétement excessif dans les affaires de compétence exclusivement provinciale3. Vous trouverez ci-après un bref survol de l’historique procédural de l’affaire et de la décision rendue aujourd’hui ainsi que plusieurs enseignements que l’on peut en tirer.


Historique procédural

La décision d’aujourd’hui a été rendue au terme du pourvoi d’une affaire initialement renvoyée devant la Cour d’appel de l’Alberta (CAA). Les renvois sont des questions présentées à la Cour par le gouvernement au moyen d’un mécanisme législatif spécialisé.

En l’espèce, le lieutenant-gouverneur en conseil de l’Alberta a demandé à la CAA de statuer sur deux questions, à savoir 1) si la LÉI excédait la compétence législative du gouvernement fédéral et 2) si un règlement connexe relevait bel et bien de la compétence législative conférée aux provinces.

Comme nous l’avons indiqué précédemment4, la CAA a conclu à la majorité que la LÉI empiétait de manière inconstitutionnelle sur la compétence provinciale, allant jusqu’à considérer que le Parlement avait [TRADUCTION] « tiré à boulets rouges sur le droit constitutionnel des citoyens et des citoyennes de l’Alberta, de la Saskatchewan et d’autres provinces »5. La CAA a jugé que la LÉI enfreignait de manière inconstitutionnelle la compétence provinciale à l’égard de l’exploitation et de la gestion des ressources naturelles, des droits de propriété des provinces en tant que propriétaires de leurs terres publiques, des travaux et entreprises de nature locale, de la gestion des terres publiques, de la propriété et des droits civils de même que des matières d’une nature locale ou privée6.

Les décisions prises dans le cadre de renvois ayant un caractère consultatif et non contraignant, la LÉI est restée en vigueur malgré les conclusions de la CAA. Le gouvernement fédéral a formé un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

La décision

Le juge en chef Wagner, écrivant au nom de la majorité, a estimé qu’une grande partie de la LÉI était inconstitutionnelle, notamment en raison de la portée excessive de la façon dont la loi traite les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale dans le cadre de la désignation de projets. Tout en reconnaissant que la loi est présumée constitutionnelle et que les sujets comme l’environnement peuvent comporter des éléments qui touchent à la fois à la compétence fédérale et à la compétence provinciale (« doctrine du double aspect »), la majorité a fermement soutenu que ces concepts avaient des limites et ne pouvaient être utilisés pour contourner un contrôle législatif valable. 

La LÉI était censée réglementer les « projets désignés », qu’il s’agisse d’activités concrètes automatiquement visées par la LÉI ou d’activités désignées par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada aux fins d’examen si l’activité en question peut entraîner des effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale ou si les préoccupations du public concernant ces effets le justifient. Une fois désigné, le projet devrait faire l’objet d’un examen fédéral et le ministre devrait déterminer en dernier ressort s’il peut aller de l’avant et, dans l’affirmative, à quelles conditions.

En l’espèce, bien que la LÉI soit une tentative de lier la loi à la compétence fédérale en s’appuyant sur les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale », deux préoccupations ont porté un coup fatal à la loi dans sa quasi-globalité. Tout d’abord, ces effets ne dictaient pas les fonctions décisionnelles de la LÉI – c’était plutôt aux décideurs de tenir compte d’une liste non exhaustive de facteurs, dont seulement deux relevaient de la compétence fédérale – et un projet pouvait être visé par la LÉI quand bien même il n’aurait existé qu’un lien ténu avec ces deux facteurs. Ensuite, même les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » ainsi définis et relevés ne cadraient pas en réalité avec la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral. Par conséquent, le « caractère véritable » de la LÉI excède la compétence fédérale.

Toutefois, la Cour a accueilli de justesse un aspect du pourvoi du gouvernement fédéral, estimant qu’une partie du régime régissant les projets fédéraux sur un territoire domanial ou à l’étranger était conforme à la Constitution, compte tenu de la compétence du gouvernement fédéral sur ce territoire.

Dissidents en partie, les juges Karakatsanis et Jamal auraient conclu à la constitutionnalité du régime législatif dans son entièreté. Leur réponse au risque d’élargissement excessif de la compétence fédérale consistait en une combinaison de constitutionnalité présumée et de contrôle judiciaire selon la décision, soit des aspects que les juges majoritaires ont examinés puis rejetés. Les juges dissidents ont également fait largement abstraction de la « preuve extrinsèque » que la majorité, bien qu’elle ne se soit pas appuyée dessus, a acceptée comme renforçant la portée excessive de la loi.

Principaux points à retenir

L’issue trouvée aujourd’hui en étonnera sûrement plus d’un, compte tenu de la décision rendue en 2021 par la CSC confirmant la validité du filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone dans la cause des Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (où les arguments avancés par les juges dissidents ressemblaient aux raisons sous-jacentes à la décision de la CAA dans la présente cause)7, surtout qu’elle va à contre-courant d’une longue série d’affaires environnementales élargissant à la fois la compétence provinciale et la compétence fédérale sous les auspices du fédéralisme coopératif.

Pourtant, la décision concorde avec le jugement de la cause la plus similaire à cette affaire, la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Reference re Environmental Management Act8. À l’instar de l’affaire qui nous occupe, la Cour avait estimé que le « caractère véritable » de la loi, soit les efforts de la Colombie-Britannique de limiter l’importation de pétrole lourd dans la province pour des raisons environnementales, constituait une tentative inconstitutionnelle d’« usurper » les pouvoirs fédéraux sur les pipelines interprovinciaux, tout comme il a été jugé que la LÉI interférait avec la compétence des provinces sur leur territoire. 

La jurisprudence établit désormais clairement ce qui sera souvent le point critique de la constitutionnalité d’une loi environnementale : la caractérisation de son objet. Les tribunaux chercheront à déterminer avec soin si une loi vise valablement des questions relevant de la compétence de l’ordre de gouvernement qui l’a édictée ou si, même en cas de prétention du contraire, elle est convenablement caractérisée comme visant des questions relevant de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement. Toutefois, une fois qu’il a été établi que l’objet de la loi relevait de la compétence du gouvernement qui l’a édictée, le principe du fédéralisme coopératif signifie que les possibilités de chevauchement des réglementations fédérale et provinciale sont grandes et il sera alors souvent difficile de faire la preuve d’un conflit inconstitutionnel.

En fin de compte, la LÉI reste en vigueur (comme nous l’avons précisé, les décisions prises dans le cadre de renvois revêtent un caractère consultatif et non contraignant), mais il y a très peu de chances que les parties du régime jugées inconstitutionnelles soient appliquées compte tenu de la décision rendue aujourd’hui. Le gouvernement fédéral promet de rapides modifications « ciblées » tenant compte du jugement. La partie de la loi jugée constitutionnelle (concernant les projets fédéraux sur un territoire domanial et à l’étranger) continuera de s’appliquer.

La décision d’aujourd’hui pourrait avoir des incidences plus larges qu’une modification de la LÉI. La Cour a notamment indiqué que « la LÉI permet[tait] expressément la désignation de projets, l’obligation d’effectuer des évaluations et la prise de décisions dans l’intérêt public au motif qu’un projet émet des gaz à effet de serre qui traversent les frontières interprovinciales et internationales »9, ce qu’elle a jugé excessif. Ce jugement pourrait avoir des répercussions sur certaines initiatives législatives actuellement envisagées par le gouvernement fédéral, notamment celles liées à la réglementation des émissions à l’intérieur des frontières provinciales.


Notes

1   2023 CSC 23.

2   L.C. 2019, ch. 28, art. 1.

3   At a high level, cooperative federalism refers to the idea that provincial and federal governments should work collaboratively and flexibly in pursuit of mutual goals.

4   Alan Harvie, « Tentative de démolition : la Cour d’appel de l’Alberta déclare inconstitutionnelle la Loi sur l’évaluation d’impact fédérale », 26 mai 2022, en ligne : <https://www.nortonrosefulbright.com/fr-ca/centre-du-savoir/publications/cf3ddfcd/tentative-de-demolition-la-cour-dappel-de-lalberta-declare-inconstitutionnelle-la-loi-sur-levaluation-dimpact-federale>.

5   Reference re Impact Assessment Act, 2022 ABCA 165, para. 28 (« Renvoi relatif à la LÉI devant la CAA »).

6   Renvoi relatif à la LÉI devant la CAA, para. 410.

7  

2021 CSC 11.

8  

2019 BCCA 181.

9  

Renvoi relatif à la LÉI devant la CAA, para. 184.



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