Le vendredi 20 juin 2025, des modifications apportées à la Loi sur la concurrence sont entrées en vigueur. Elles accroissent considérablement la capacité des parties privées à porter des affaires devant le Tribunal de la concurrence. Le même jour, le Bureau de la concurrence a publié son projet de Bulletin sur l’accès privé au Tribunal de la concurrence aux fins de consultation publique.
Aperçu des droits d’accès privés accrus
Voici les principales modifications entrées en vigueur le 20 juin 2025 :
- Les parties privées peuvent maintenant demander l’autorisation de présenter des demandes au Tribunal en vertu de l’article 74.1 (pratiques commerciales trompeuses, y compris les nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment, mais doivent démontrer que la demande est dans l’intérêt public.
- Les parties privées peuvent maintenant demander l’autorisation de présenter des demandes au Tribunal en vertu de l’article 90.1 (accords nuisant à la concurrence) si elles peuvent démontrer soit i) qu’elles sont directement et sensiblement gênées par un comportement qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu de la disposition applicable ou ii) que la demande est dans l’intérêt public.
- Le critère d’autorisation pour les demandes des parties privées en vertu des articles 75 (refus de vendre), 77 (ventes liées et limitation du marché) et 79 (abus de position dominante) a été modifié. Désormais, les parties privées doivent prouver soit i) qu’elles sont directement et substantiellement gênées par un comportement qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance en vertu de la disposition applicable ou ii) que la demande est dans l’intérêt public.
- Pour certaines pratiques commerciales trompeuses, un demandeur privé peut demander des dommages-intérêts ne dépassant pas le montant payé pour le produit qui a fait l’objet de l’indication trompeuse, à distribuer parmi ceux qui ont acheté le produit (le commissaire de la concurrence pourrait demander ce recours avant les modifications).
- En vertu d’autres dispositions (art. 75 exclusivité, art. 76 maintien des prix, art. 77 ventes liées et limitation du marché, art. 79 abus de position dominante et art. 90.1 accords nuisant à la concurrence), un demandeur privé peut demander une indemnisation allant jusqu’à la valeur du bénéfice tiré du comportement anticoncurrentiel. L’indemnisation peut s’étendre au-delà du demandeur et inclure toute personne touchée par le comportement. Il s’agit en fait d’un recours en restitution qui semble conçu pour encourager les procédures semblables aux actions collectives.
- Pour certains comportements, les parties privées peuvent maintenant demander d’importantes sanctions administratives pécuniaires (qui sont versées au gouvernement fédéral et non à la partie privée) :
- Pour certaines pratiques commerciales trompeuses visées par l’article 74.1, lorsque l’intimé est une personne physique, la partie privée peut demander une sanction allant jusqu’à 750 000 $ (jusqu’à 1 000 000 $ pour les ordonnances subséquentes) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement. Lorsque l’intimé est une personne morale, la partie privée peut demander une sanction d’un montant ne dépassant pas i) 10 000 000 $ et 15 000 000 $ pour chaque ordonnance subséquente ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale.
- Pour les accords nuisant à la concurrence visés par l’article 90.1, la partie privée peut demander une sanction d’un montant ne dépassant pas i) 10 000 000 $ (jusqu’à 15 000 000 $ pour les ordonnances subséquentes) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale.
Le commissaire pouvait déjà demander ces recours avant l’entrée en vigueur de ces modifications. Le commissaire et les demandeurs privés pouvaient également déjà demander des sanctions administratives pécuniaires similaires à l’égard de comportements allégués comme étant un abus de position dominante.
Pour en savoir plus sur la portée de ces modifications, consultez notre actualité juridique du mois d’août 2024.
La participation anticipée du Bureau de la concurrence aux demandes des parties privées
Le Bureau de la concurrence a publié un bulletin présentant ses points de vue préliminaires sur le rôle qu’il joue dans les demandes des parties privées devant le Tribunal, qui sollicite des commentaires à cet égard jusqu’au 19 août 2025. Il a déclaré que, en fonction de l’affaire, le Bureau peut décider d’intervenir ou de prendre des mesures qui ont une incidence sur les demandes des parties privées.
Le Bureau interviendra dans la demande d’accès privé s’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire, en se fondant, par exemple, sur les éléments suivants :
- les retombées potentielles sur les consommateurs, la communauté des entreprises ou l’économie;
- les conséquences juridiques possibles (c’est-à-dire l’affaire pourrait-elle créer un précédent important);
- si le Bureau apporte une perspective différente; ou
- si le Bureau croit que la demande présente des arguments solides en faveur de mesures correctives appropriées en vertu de la Loi sur la concurrence.
Le Bureau peut s’opposer à la demande de permission s’il croit qu’il serait préférable de régler la question au moyen d’une enquête publique et de mesures d’application de la Loi de sa part. Le Bureau peut aussi demander de modifier ou d’annuler tout accord de consentement conclu entre les parties privées s’il est vraisemblable qu’il ait des effets anticoncurrentiels.
Dans de « rares cas » selon les prévisions du Bureau, il peut décider d’entamer une enquête ou de présenter sa propre demande, ce qui empêcherait le Tribunal de considérer la demande d’une partie privée.
Nous avons un aperçu de la façon dont le Bureau peut choisir de participer aux demandes d’autorisation de parties privées. Vers la fin de 2024, le commissaire est intervenu dans la demande d’autorisation de JAMP Pharma Corporation d’intenter une action privée pour abus de position dominante contre son concurrent, Janssen Inc. Bien que le commissaire n’ait pas pris position sur le bien-fondé de la demande d’autorisation de JAMP ni sur ses allégations sous-jacentes d’abus de position dominante, il est intervenu pour présenter des observations sur le critère d’autorisation. La position du commissaire dans cette affaire suggère que, selon lui, le critère d’autorisation devrait être un seuil relativement bas qui n’élimine que les demandes manifestement frivoles et vexatoires. Sur ce point, le commissaire a présenté les observations suivantes :
- Pour déterminer si le comportement allégué « pouvait » faire l’objet d’une ordonnance en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence (un élément du critère d’autorisation), le commissaire a encouragé le Tribunal à appliquer une interprétation « libérale » « éclairée par l’intention et l’objectif » des modifications déjà en vigueur. Le Bureau a suggéré que ces objectifs comprenaient l’amélioration de l’accès à la justice pour les entreprises et l’élargissement de la portée des activités soumises à examen.
- Le critère d’autorisation devrait permettre au Tribunal d’exercer sa fonction de gardien, mais ne devrait pas empêcher les demandes fondées qui réduiraient les avantages de l’accès privé, notamment les suivants :
- il sert de « complément » à l’application publique;
- il augmente l’effet dissuasif de la Loi;
- il peut mener à un règlement plus rapide des différends;
- il peut contribuer à une jurisprudence qui clarifie la Loi.
- Les comportements anticoncurrentiels non seulement touchent les intérêts privés, mais peuvent aussi avoir des conséquences plus importantes pour l’économie. C’est pourquoi les litiges entre parties privées font partie du système global de promotion de la concurrence au Canada.
Nous pouvons nous attendre à ce que le commissaire adopte une position similaire dans les prochaines demandes d’autorisation et qu’il présente des observations concernant l’application du critère d’autorisation dans l’intérêt public. Dans son plan annuel 2025-26, le Bureau a indiqué qu’il prévoyait travailler au renforcement de l’application de la Loi par les parties privées en « surveillant les affaires, en mettant à jour les lignes directrices et en intervenant sur des questions juridiques clés afin d’appuyer une plus grande concurrence ».
Principaux points à retenir
Nous nous attendons à ce que l’application moins rigoureuse du critère d’autorisation (y compris le seuil d’intérêt public possiblement élargi) et les nouveaux recours, y compris ceux qui semblent conçus pour encourager les procédures de type action collective, entraînent une augmentation des litiges en matière de concurrence à court terme et à moyen terme. Cette situation s’explique par la probabilité que des avocats en actions collectives et des groupes environnementaux entreprenants puissent chercher à intenter des actions qui repoussent les limites des droits accrus d’application de la Loi par des parties privées et par le fait qu’il faudra des litiges sur des questions clés pour établir des principes fondamentaux dans la jurisprudence.
Il est important de noter que les sociétés doivent tenir compte du droit accru d’application de la Loi par des parties privées en conjonction avec d’autres modifications importantes récentes qui élargissent la portée du type d’actions pouvant être intentées par des parties privées et facilitent l’obtention d’un recours. Ces modifications risquent de donner lieu à une augmentation importante du risque lié à la conformité et du risque de litige pour les entreprises. En parallèle, le mode d’interprétation des nouvelles dispositions suscite une grande incertitude et il reste à déterminer si les critères d’autorisation constitueront un outil de filtrage efficace. Même si l’ensemble des entreprises devait évaluer leurs pratiques pour s’assurer qu’elles sont conformes à la Loi sur la concurrence afin de réduire leurs risques, il serait particulièrement pertinent de le faire pour celles qui ont une forte position sur le marché ou qui font des déclarations environnementales importantes concernant leurs produits ou leurs activités commerciales.