Au cours des quatre premiers mois de 2025, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu quatre jugements d’intérêt pour les entreprises, le secteur public et les conseillers juridiques. Ces jugements portaient sur les abus de procédure dans le contexte de litiges judiciaires, l’inconstitutionnalité des plafonds de dépenses imposés aux tiers pendant les élections et l’interprétation des lois.
La présente actualité résume les principaux points à retenir de chacune de ces décisions et donne un aperçu de ce qui nous attend pour le reste de 2025.
Points à retenir
- Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan : Les peuples autochtones qui intentent des procédures multiples pour faire respecter des droits ou revendications autochtones ne peuvent se voir refuser d’intenter de telles procédures dans le cadre de la doctrine de l’« abus de procédure », qui empêcherait autrement d’intenter plusieurs procédures judiciaires distinctes relativement à une même question, lorsque le litige favorise l’administration de la justice1.
- Ontario (Procureur général) c. Working Families Coalition (Canada) Inc. : L’imposition d’un plafond visant les dépenses électorales à des tiers a été jugée inconstitutionnelle, car cela limitait l’exposition des électeurs à divers points de vue, portant atteinte au droit de voter de manière éclairée et créant des règles du jeu inéquitables2.
- Décisions multiples en matière d’interprétation législative : Bien que l’on puisse trouver dans une disposition un sens qui englobe des circonstances qui n’étaient pas autrement envisagées par le législateur au moment de l’adoption, une approche moderne en matière d’interprétation législative ne peut élargir le sens de la disposition au‐delà de l’intention du législateur qui ressort du fait de ce critère. De plus, les tribunaux considèrent, lors de l’interprétation d’une loi fédérale, que les versions française et anglaise d’une disposition ont également force de loi.
Saskatchewan c. Métis Nation – Saskatchewan
La question était de savoir si la demande en justice intentée en 2021 par la Métis Nation of Saskatchewan (MNS) constituait un « abus de procédure » parce qu’elle remet en litige des questions découlant d’actions intentées antérieurement par la MNS. La CSC a estimé que ce n’était pas le cas.
En 1994 et en 2020, la MNS a demandé un jugement déclaratoire dans le cadre de deux actions en justice distinctes afin de faire valoir son titre ancestral et ses droits de récolte commerciale. En 2021, la Saskatchewan a délivré trois permis d’exploration d’uranium à une société sur le territoire de la MNS. La MNS a demandé un contrôle judiciaire, contestant le refus de la Saskatchewan de procéder à des consultations concernant les titres autochtones et les droits d’exploitation commerciale. La Saskatchewan a contesté avec succès la demande de contrôle judiciaire qui faisait valoir qu’il y avait eu abus de procédure, car la MNS refaisait valoir les mêmes recours civils.
La CSC a infirmé la décision du juge en chambre, concluant que la nature répétitive des questions en litige était insuffisante pour conclure que la demande de 2021 constituait un abus de procédure. Bien que de multiples instances portant sur la même question puissent miner le processus judiciaire, il arrive que cela puisse renforcer l’intégrité du système judiciaire plutôt que de la mettre en doute.
Par conséquent, plutôt que de se demander uniquement si les questions sont les mêmes, l’analyse des tribunaux devrait s’attacher à la question de savoir si le fait de permettre au litige de continuer porterait atteinte aux principes d’économie des ressources judiciaires, de cohérence, de caractère définitif des instances ou d’intégrité de l’administration de la justice. Dans le présent cas, ces principes favorisaient la poursuite de l’application de la demande de 2021, d’autant plus que la MNS, en tant que partie autochtone, avait de nouveau plaidé pour faire valoir ses droits et revendications autochtones et maintenir une obligation continue de consultation qui avait été violée à des occasions distinctes par la Saskatchewan.
Ontario c. Working Families Coalition Inc.
Working Families Coalition Inc. a présenté une contestation constitutionnelle auprès de la CSC, lui demandant de déterminer si le sous-alinéa 37.10.1(2) de la Loi sur le financement des élections (LFE) de l’Ontario, limitant le montant que les tiers peuvent dépenser à des fins de publicité politique au cours de l’année précédant une période électorale provinciale en établissant un plafond de dépenses, portait atteinte au droit de vote garanti par l’article 3 de la Charte. La CSC a déterminé que le plafond de dépenses violait le droit de vote et a déclaré nulle et sans effet la disposition relative à la LFE.
Le plafond de dépenses limite les dépenses à des fins de publicité par des tiers à 24 000 $ dans une circonscription donnée et à 600 000 $ au total au cours de la période de 12 mois précédant la période électorale. Les partis politiques ont un plafond de dépenses de 1 M$ durant les six mois précédant une élection. Toutefois, ceux-ci n’ont pas de plafond de dépenses avant cette période de six mois.
Le jugement de la CSC a respecté la jurisprudence antérieure de la CSC selon laquelle la protection du droit de vote signifie qu’il doit y avoir un équilibre dans le discours politique des élections canadiennes et que ces dernières doivent garantir des conditions de concurrence équitables pour ceux qui souhaitent s’y engager 3. Le plafond de dépenses des tiers risquait de réduire considérablement l’exposition des électeurs à des points de vue différents sur les questions politiques entraînant des répercussions sur leurs communautés, notamment en raison des points de vue des tiers qui doivent être en mesure d’atteindre les électeurs sans être étouffés par les partis politiques. La CSC a finalement déclaré nulle et sans effet la disposition sur le plafond de dépenses.
Décisions de la CSC concernant l’interprétation législative
Dans Piekut c. Canada4, la question portait sur l’interprétation du moment où une personne cesse d’être considérée comme étudiante à temps plein ou à temps partiel en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. La CSC a conclu que cette date devait être déterminée selon l’approche de la date unique, ce qui signifie que les étudiants cessent d’avoir ce statut une fois que ceux-ci terminent l’entièreté de leurs études.
Dans sa décision, la CSC rappelle aux tribunaux d’instance inférieure de considérer la version française comme ayant la même autorité lors de l’interprétation de lois fédérales. Un tribunal doit prendre en considération le sens commun des deux versions linguistiques officielles. Lorsqu’une version d’une loi bilingue a un sens plus large que l’autre, la version dont le sens est plus restreint reflète le sens commun.
Dans une décision de la CSC rendue peu de temps avant l’arrêt Piekut, la CSC a statué que, pour préserver l’intention originale du législateur, les tribunaux doivent interpréter les concepts généraux ou ayant une acception large en demeurant sensibles à l’évolution du contexte; une telle approche ne déroge pas à la volonté du législateur qui a édicté le texte de loi — elle la réalise.
Cela confirme la décision de la CSC dans l’affaire Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A5, selon laquelle « le texte de la loi est le point d’ancrage de l’approche moderne ». Le degré d’application d’une disposition à de nouvelles circonstances est une question d’interprétation à laquelle il faut répondre à la lecture du texte et du contexte conformément aux objectifs du législateur.
Quelles sont les affaires à venir?
En mai, la CSC entendra l’affaire Procureur général du Québec c. Bijou Cibuabua Kanyinda6, qui examinera la constitutionnalité de l’exclusion du Québec de femmes demandant l’asile et ayant obtenu un permis de travail dans le cadre de son régime de services de garde subventionnés.
Les entreprises seront intéressées par le jugement de la CSC dans Duncan Sinclair, et al. c. Venezia Turismo, et al.7, qui est actuellement en réserve, mais qui devrait être diffusé avant la fin de 2025. La décision aura une incidence sur les entreprises désirant intenter une poursuite dans le territoire où le contrat a été conclu. Bien qu’il s’agisse actuellement d’un facteur présomptif pesant en faveur de la démonstration d’un lien avec le territoire, le degré de prise en compte de celui-ci afin de déterminer le forum approprié pourrait changer à l’issue de ce jugement de la CSC.
La CSC a récemment accordé une autorisation dans des affaires importantes concernant les droits garantis par la Charte, les droits ancestraux garantis par l’article 35 et le rôle des clauses privatives dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
- La CSC déterminera si la loi québécoise interdisant à certaines personnes de porter des symboles religieux dans l’exercice de leurs fonctions, y compris celles qui se couvrent le visage, viole la Charte et la Charte du Québec, et examinera le rôle de l’article 33 de la Constitution, la clause dérogatoire, dans l’arrêt Commission scolaire English-Montréal, et al. c. Procureur général du Québec, et al.
- Dans Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick c. Le très honorable premier ministre du Canada, et al., la CSC se penchera sur de nouvelles questions relatives aux exigences en matière de bilinguisme qui s’appliquent à la nomination du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick.
- La CSC examinera si la Nisga’a Nation et la Tsetsaut/Skii km Lax Ha Nation peuvent se joindre à l’action intentée par la Gitanyow Nation afin de faire valoir les droits et titres ancestraux sur certaines terres en Colombie-Britannique, dans l’affaire Nisga’a Nation c. Malii, et al., et Skii km Lax Ha, et al. c. Malii et al. 8.
- Dans Démocratie en surveillance c. Procureur général du Canada, la CSC étudiera si une clause privative partielle dans la Loi sur les conflits d’intérêts, limitant le contrôle judiciaire des décisions du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique à des types précis de questions, empêche Démocratie en surveillance de demander le contrôle judiciaire du rapport du commissaire à l’éthique concernant la décision de l’ancien premier ministre Trudeau concernant l’organisme WE Charity.
Suivez les informations du cabinet sur le droit d’appel pour connaître les plus récentes décisions de la CSC. Si vous avez des questions au sujet des appels ci-dessus, veuillez communiquer avec un membre de notre équipe des appels.
Les auteurs tiennent à remercier Madeline Heinke et Mey Chiali, stagiaires, pour leur aide dans la préparation de la présente actualité juridique.