Le 30 mai dernier, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu un arrêt d’un grand intérêt pour les entreprises dont les activités relèvent de la compétence exclusive du Parlement fédéral, comme les ports ou les aéroports internationaux. Dans Opsis Services aéroportuaires inc. c. Québec (Procureur général)1, la cour devait déterminer si la Loi sur la sécurité privée (LSP) du Québec, loi provinciale adoptée par la législature québécoise, s’appliquait aux entreprises exerçant leurs activités dans des domaines assujettis à la compétence exclusive du Parlement fédéral, comme la sécurité au sein des installations portuaires et aéroportuaires.
La CSC a accueilli à l’unanimité les deux pourvois, jugeant la loi provinciale inapplicable dans son intégralité aux termes de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Cette doctrine, qui vise à mettre le contenu essentiel d’une compétence fédérale ou provinciale exclusive à l’abri d’une entrave de la part de l’autre ordre de gouvernement, a par le passé été appliquée avec retenue par la CSC. L’application de cette doctrine dans le cadre de ce pourvoi confirme qu’elle n’a pas été entièrement mise de côté par la cour et qu’elle peut demeurer un outil pertinent pour ceux qui exercent leurs activités dans des domaines relevant de la compétence fédérale afin de réduire le nombre des règlements émanant de différents ordres de gouvernement auxquels ils doivent se conformer.
Contexte et arrêts de la Cour d’appel du Québec
Opsis Services aéroportuaires inc. (Opsis) est une entreprise qui offre des services spécialisés dans le secteur aéroportuaire. Elle exploite le centre d’appels d’urgence de l’aéroport international Pierre Elliot Trudeau à Montréal. Services maritimes Québec (SMQ), quant à elle, est une entreprise qui œuvre dans le secteur du transport maritime international. Elle a la responsabilité de surveiller et de contrôler l’accès aux installations maritimes du terminal de Pointe-au-Pic.
Il a été reproché à Opsis et à SMQ d’exploiter une entreprise menant des activités de sécurité privée sans détenir un permis correspondant à cette activité, contrairement aux exigences prévues par la LSP. La Cour d’appel du Québec a confirmé l’application de la LSP2. Tout en reconnaissant que les activités d’Opsis et de SMQ relevaient de la compétence exclusive du Parlement fédéral, les juges majoritaires ont conclu que les dispositions contestées de la LSP exigeant qu’Opsis et SMQ soient titulaires d’un permis n’allaient pas jusqu’à entraver le cœur des compétences fédérales en matière d’aéronautique, de navigation et de bâtiments ou navires (shipping).
Arrêt de la CSC
Tout comme la Cour d’appel, la CSC a conclu que les activités d’Opsis et de SMQ en matière de sécurité portuaire et aéroportuaire relevaient incontestablement du contenu essentiel des compétences fédérales en matière d’aéronautique et de navigation. Cependant, contrairement à ce qu’a établi la Cour d’appel, elle a estimé que le régime de permis prévu en vertu de la LSP causait en réalité une entrave au contenu essentiel de la compétence exclusive du Parlement.
La CSC a jugé que le régime provincial avait pour effet d’assujettir le permis d’exercice par les appelants de leurs activités au contrôle du Bureau de la sécurité privée (BSP), organisme de réglementation responsable de l’application de la LSP. Elle a ainsi rejeté la conclusion de la Cour d’appel et déterminé que les pouvoirs du BSP consistant à suspendre, à révoquer ou à refuser de renouveler un permis ainsi qu’à donner des directives à un titulaire de permis entravaient le contenu essentiel des compétences fédérales en matière d’aéronautique, de navigation et de bâtiments ou navires (shipping). Estimant que les dispositions contestées de la LSP étaient indissociables du reste de la loi, la cour a conclu que la réparation appropriée consistait à donner une interprétation atténuée à l’ensemble de la loi, de façon à ce que les appelants soient exclus de son champ d’application.
La CSC a expliqué que la doctrine de l’exclusivité des compétences devait être appliquée avec retenue, en privilégiant la conception moderne du fédéralisme coopératif selon laquelle les lois de la province et du Parlement sont toutes deux appliquées. De plus, la doctrine de l’exclusivité des compétences devrait seulement être invoquée lorsqu’il s’agit « d’une atteinte grave ou importante » au contenu essentiel de la compétence exclusive du Parlement ou de la législature provinciale, ce qui a été constaté en l’espèce.
Points à retenir
- En ce qui concerne les entreprises qui offrent des services à des clients exerçant leurs activités dans des domaines assujettis à la compétence exclusive du Parlement, l’arrêt de la CSC vise à promouvoir l’uniformité et la prévisibilité de l’application de la loi et peut permettre de limiter l’empiètement des lois provinciales dans leurs activités.
- En ce qui concerne les entreprises exerçant leurs activités dans des domaines assujettis à la compétence exclusive du Parlement, l’arrêt de la CSC donne un nouveau souffle à la doctrine de l’exclusivité des compétences en tant que motif de contestation des lois provinciales considérées comme entravant le contenu essentiel d’une compétence fédérale exclusive. Toutefois, d’un point de vue pratique, il restera à déterminer dans quelle mesure l’empiètement des lois provinciales sera jugé suffisant pour qu’elles deviennent inapplicables et sources d’entrave pour une entreprise qui exerce ses activités dans un domaine relevant d’une compétence fédérale exclusive.
Les auteur·rices tiennent à remercier Michèle-Lise Lepage, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.